Ni beaux ni laids

Ni beaux ni laids

La maison rose

Je ferme les yeux. Elle est là, toute rose, au-dessus d’un grand trou noir.

 

Je n’ai que quatre ans. La poussière grise de la ville enveloppe le paysage et ce gros trou noir, au centre de

 

la ville, mange les maisons multicolores, les unes après les autres.

 

Grand-père me sourit. Je hausse les épaules. Je n’ai rien à craindre. Les murs de la maison rose, me parlent

 

d’amour, le réfrigérateur grinche et ça sent le bon café.

 

Je ferme plus fort les yeux pour mieux ressentir ce que je vois : tante Irène, assise comme une reine

 

musicienne. Elle chante et joue du piano et de l’accordéon piano. Oncle Gérard avec son violon et mon père

 

à la guitare l’accompagnent. Même le silence, dans la maison rose, réveille en moi les sons harmonieux de

 

mon enfance.

 

Un jour, je quitte la maison rose. Je n’ai que 5 ans. Personne ne me demande mon avis. Je laisse donc

 

derrière moi presque tout ce que suis, car je me dépouille de ce que j’aime.

 

De temps en temps, je reviens vers la maison rose. Mes grands-parents sont devenus un vieux couple qui

 

attend. Leur maison, ma maison rose, reste en suspens entre ciel et terre.

 

Ces murs de briques roses cachent les espoirs et les malheurs d’une longue génération.

 

Le feuillage et les plantes grimpantes continuent de s’enlacer tendrement. Les rosiers avec leurs épines,

 

n’ont pas cessé de décourager les curieux.

 

L’hiver, la maison rose se drape d‘un grand linceul blanc, malgré les nuages et la poussière grise de la ville.

 

Pour moi, la maison rose, perchée dangereusement au-dessus de ce trou, demeure indestructible.

 

Pourtant, un soir sans lune, la maison rose, sans dire un mot, s’est couchée dans le gros trou de poussière.

 

Le vieux médecin de la ville raconte que la maison rose a perdu ses belles briques roses et qu’elle a glissé

 

doucement dans son cercueil. Le monstre géant de mon enfance a grugé peu à peu la maison rose et tout

 

ce qu’elle contenait.

 

Le couple aimé de mon enfance est allé aussi s’étendre, mais dans un cimetière voisin.

 

Je ne suis pas retournée dans cette ville toute grise. Je ne pourrai plus trouver la maison rose. Elle est dans

 

ce trou noir, devenu gigantesque, et, toujours situé dans le centre de la ville.

 

Malgré tout, la maison rose m’habite toujours. Elle reste imprimée sur la pellicule du film de mon enfance.

 

 

Mars 2010 numéro : 00051195

 

 



16/10/2012
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